Bioshock Infinite – L’Antre du Greil
Parmi les points communs existants entre jeux vidéo et cinéma, celui de la lois des séries est évident. Un exemple : dans la saga Terminator, le premier opus bénéficie de l’aspect créatif et novateur, donnant naissance à la lignée, le deuxième film est l’aboutissement du travail et confirme le potentiel du premier, quand au troisième, c’est une bouse sans nom qui ne vaut son existence qu’à la nécessité de faire vivre de pauvres acteurs et décideurs de l’industrie cinématographique. On pourrait dire pareil pour nombre de saga à fort succès commercial Alien, DieHard, Scream, AmericanPie, etc etc…) Alors bien entendu, certaines séries de films viennent contredire ce constat mais on dira qu’il s’agit de l’exception qui confirme la règle. Et dans les jeux vidéo, c’est généralement pareil : Call of Duty Modern Warfare 1 et 2 sont des titres tout à fait acceptables dans leur genre, la suite vous la connaissez. Assassin’s Creed n’est vraiment bon que jusqu’à la fin du deuxième opus, après, c’est la grande foire au foutage de gueule. Mais il arrive une fois de temps en temps qu’un élu sorte du lot, chevauchant fièrement son destrier blanc et rappelant à l’humanité que, oui, mes amis, l’espoir est toujours possible et non, mes amis, les troisièmes opus ne sont pas toujours ceux du passage du côté obscur de la force, celui de la saga pognon, avec un titre par an et des DLC à foison. Je vous le dit tout net les enfants, ce Bioshock Infinite en fait partie et nous l’allons montrer tout à l’heure… (Bordel, images bibliques, phrases façon La Fontaine, cette introduction se termine vraiment avec une putain de classe, ce serait con d’ajouter une salope de parenthèse avec plein de gros mots de merde dispersés dans tout les sens !)
Comme d’habitude, on va faire le point pour ceux qui dorment au fond de la classe. Bioshock, c’est finalement un OVNI. Débarquant en 2008 sur nos consoles et PC, ce FPS proposé par Irrationnal Games a su très vite faire parler de lui. Le titre nous amenait à visiter Rapture, une ville sous-marine aussi majestueuse qu’inquiétante, ravagée par un mal inconnu. Le but était simple : s’y frayer un passage dans le but de regagner la surface. Outre l’environnement oppressant parfaitement rendu à l’écran, le joueur avait la joie de rencontrer une foule d’ennemi plus dangereux les uns que les autres. Si les habitants de Rapture, rendus fous par leurs étranges pouvoirs, formaient la principale opposition rencontrée, ce sont les Big Daddy’s qui resteront dans les esprits, ces mastodontes chargés de veiller sur les fragiles Petites Soeurs. Le tout était servi avec une maîtrise technique et artistique impressionnante, ainsi qu’un scénario riche. Le deuxième opus reprenait les bases du premier et répondait aux attentes des fans : nouveaux ennemis, une aventure encore plus prenante et pleine d’une certaine poésie, avec toujours cette identité marquée. Ken Levine (maintenant, ça fait cool de donner les noms des chefs de projet, alors je le fait aussi !) et son équipe prouvaient ainsi que leur réussite sur Bioshock premier du nom n’était pas due au hasard.
Bienvenue à Columbia !
Pourtant, au moment d’embarquer dans Bioshock Infinite, il faut avouer qu’une certaine appréhension habite le joueur : difficile d’ignorer que Rapture est remplacée par Columbia, une ville dans les nuages. D’aucun me diront que le terrain de jeu n’a pas tellement d’importance et pourtant. Dans Bioshock 1 et 2, on incarnait des héros quasiment anonymes et qui n’étaient pas les mêmes d’un opus à l’autre. Le vrai héros dans ces deux jeux, c’était Rapture elle-même et son absence avait de quoi faire tiquer nombre de joueurs. C’est en fait un parti pris très risqué de la part d’Irrational Game qui ose virer l’attraction principale de sa saga pour la remplacer par une autre ville. Et en cela, ils ont eu raison. On évite tout les problèmes liés aux fameux « troisièmes opus », ici, pas de fan service à deux balles, pas de sentiment de déjà-vu ou de recyclage. On coupe les ponts et ce avec le sentiment que finalement, Rapture dans Bioshock 2 n’était plus améliorable et qu’elle laisse la place avec classe. Il fallait toutefois répondre présent et c’est fait : à la cité sous-marine glauque et oppressante, Columbia répond par sa splendeur, ses proportions vertigineuses et sa luxure (même si, vous vous en doutez, comme on est pas là pour faire du jardinage, le paysage idyllique va vite tourner à la warzone). La diversité des niveaux traversés est d’ailleurs aussi intéressante que celle des précédents titres : on partira de la bourgade pour arriver dans une sorte d’asile, en passant par les quartiers pauvres réservés aux esclaves ou des chaînes d’assemblage… Quoiqu’il en soit, de Rapture à Columbia, on passe de l’océan au ciel et la sensation est prenante tant ces deux éléments contrastent d’un titre à l’autre. On prend à ce propos une sacrée claque dès le début du jeu, lors des premiers pas dans les nuages, la luminosité frappant l’oeil avec vigueur : ce n’est qu’après avoir changé une multitude de fois les paramètres de son téléviseur que le joueur comprend qu’il s’agit de « l’effet Columbia« . Et oui, l’oeil du personnage doit s’habituer au soleil resplendissant au-dessus de la couche nuageuse et ça se ressent dans le jeu. Alors oui, c’est un détail, mais cela montre tous les efforts mis en oeuvre pour faire vivre Columbia comme Rapture avant elle. Bon, par contre, commencer le jeu sans une lumière d’appoint dans la pièce relève du coup du suicide crânien. Vous êtes prévenus…
Le mauvais calcul dans cette ville, c’est que quand tu veux faire la cascade du saut par la fenêtre, le rez-de-chaussée se trouve une cinquantaine de kilomètres plus bas…
Graphiquement, Infinite n’innove pas d’un poil. Et franchement, on s’en fou. A l’heure où Activision ou Electronic Arts nous font la démonstration de leurs prochains moteurs révolutionnaires qui permettront de voir les points noirs des visages de personnages absolument inintéressants car participant à une histoire totalement fade, BioshockInfinite a la bonne idée de rappeler à tout le monde que le jeu vidéo n’a pas nécessairement besoin de ressembler à la réalité. On retrouvera donc tout les codes établis dans les précédents opus, la touche artistique n’ayant pas été modifiée et c’est tant mieux. C’est finalement le seul vrai gros point commun avec les anciens titres de la saga : on retrouver les même effets de lumière parfaitement mis en scène, des scènes d’ailleurs allant du franchement morbide au franchement majestueux servies par un design unique, parfois cartoon, totalement rétro et résolument steam-punk. Alors oui, les maniaques de la réalité virtuelle pointeront du doigt des animations de personnages pas franchement folichonnes ou des visages épurés au possible. A ceux-là, on leur demandera gentiment de laisser les honnêtes gens profiter d’un travail plus proche de l’oeuvre d’art que d’autres titres visant un rendu « authentique ». BioshockInfinite assume pleinement son identité et c’est bien tout ce que demandaient les joueurs. Si l’ambiance s’adapte aux nouveaux lieux, on se sent donc très vite chez soit à Columbia. La bande-son n’est d’ailleurs pas en reste : outre le casting de doublage monstrueux pour la version anglophone (la version française est soignée, pour une fois, mais ça casse pas trois pattes à un canard), la musique d’ambiance est dans l’ensemble efficace et renforce l’immersion. On regrettera juste un thème de combat pas franchement inspiré et quelques défauts liés à l’effet de foule : les propos des uns et des autres autour de nous viennent très vite à se mélanger ou se répéter, rendant la visite d’une fête foraine particulièrement désagréable par exemple.
Nan mais voilà, tout ce que j’ai aimé dans ce jeu est résumé sur cette image. La mise en scène, les effets, les symboles…
Bon, j’ai bien loué l’esprit artistique du jeu, mais si on parlait un peu des choses sérieuses. C’est bien beau tout ça, mais l’idée, quand même, c’est de shooter. Et du shoot, il va y en avoir. On retrouve les même mécanismes que dans Bioshock et l’apparition du sniper dans l’arsenal n’y changera rien : les phases de combat sont très statiques, par vagues et globalement assez prévisibles. L’IA n’a pas non plus été retravaillée, les ennemis étant toujours aussi peu efficaces et intelligents. Sur ce plan, Inifinite régresse même par rapport à son prédécesseur. En effet, dans Rapture, l’apparition aléatoire d’un Big Daddy, couplée avec quelques habitants vindicatifs, voir même une Grande Soeur, pour couronner le tout, entraînait des situations imprévisibles qui pouvaient vite faire perdre tout contrôle au joueur. On était donc constamment sur ses gardes d’autant que les niveaux n’étaient du coup jamais vraiment entièrement nettoyés. Dans Infinite, ne cherchez pas : les ennemis ne respawn pas et vous ne ferez aucune rencontre aléatoire. Le Handyman, remplaçants désignés du Big Daddy pour Columbia, laissent ainsi beaucoup moins de trace. On en croisera une poignée tout au long du jeu, par apparition scriptée, accompagné d’autres ennemis. La monstruosité pourra certes poser quelques problèmes mais ne relèvera pas du défi comme le pouvaient être les Big Daddy et les Grandes Soeurs, qui avaient leurs forces et leurs faiblesses propre, ainsi qu’une résistance à toute épreuve. C’est finalement dommage : on aurait bien aimé qu’Infinite mette la barre un peu plus haut en matière de résistances, avec quelques vrais gros boss, mais c’est le sentiment inverse qui se dégage. Alors oui, on va mitrailler du PNJ à foison mais sans jamais vraiment tomber sur un morceau plus gros que les autres. Car les débarquements d’ennemis ne manquent pas et ils n’oublient généralement pas d’inviter leurs copains à la fête. Si les mastodontes sont moins en vue, on a quand même une belle chiée de PNJ plus coriaces que le croquant standard avec sa mitraillette : automates armés de machine-gun avançant vers le joueur sans s’arrêter façon Terminator, gros bomber balançant grenades incendiaires sur le champ de bataille, tourelles mitrailleuses ou lance-grenades… Si un à un ces ennemis ne feront pas trembler le bourrin qui sommeille en vous, ils pourront vite vous faire suer en grand nombre. Mais ça ne remplacera que très difficilement les grisantes batailles contre les machines qui hantaient Rapture et vous tombaient dessus au détour d’un couloir…
Papiers s’il vous plaît…
Cette sensation d’être moins en danger est renforcée par l’ajout majeur de cet opus : Elizabeth. La jeune fille pour laquelle vous débarquez à Columbia va se joindre à vous et vous donner des coups de main tout au long de l’aventure. Si la possibilité de générer des éléments de décor pour vous aider au combat nécessite suffisamment de tactique pour ne pas trop faciliter la vie, le fait que la belle se débrouille, tout au long des phases de combat, pour vous trouver munitions et recharges de santé enlève pas mal à la peine. Encore une fois, dans Bioshock 2, on imaginait pas défier un Big Daddy sans faire au préalable le plein de munition dans un distributeur. Ici, c’est bien simple, on peut presque finir l’aventure sans dépenser un centime en munitions. Certes, les munitions volent plus car on est plus facilement submergé par le nombre, mais si on y ajoute le respawn immédiat (pas de checkpoint, quand vous retournez au combat, les ennemis en sont restés là où vous les avez laissés), on penche très vite vers du bourrin pur et dur, sans trop compter les minutions ni même faire gaffe à l’arme utilisée. Niveau arme, d’ailleurs, c’est pas jouasse. Le joueur peut très vite acquérir l’une des armes les plus cheatées du monde, modestement appelée la « Carabine », à mi-chemin entre le sniper et la mitrailleuse. Le duo carabine/mitrailleuse permettant d’être efficace de loin comme de prêt et contre des groupes d’ennemis de tailles différentes, on oublie très vite que d’autres armes sont présentes dans le jeu. Du coup, l’intérêt de porter uniquement deux armes tombe à l’eau puisque ces deux armes sont facilement monstrueusement complémentaires. Le manque de challenge n’enlève rien au plaisir que l’on prend à dezinguer du PNJ à tout va, le gameplay étant toujours aussi intuitif et les coups de main d’Elizabeth se mariant parfaitement à l’action. Le panel de magies disponibles a d’ailleurs été complètement revu : exit les pics de glace ou les piège cycloniques, place aux nuées de corbeaux ou au tentacules aquatiques. Ces Toniques déclinables en pièges dévastateurs contribuent admirablement aux carnages qui ont lieu dès qu’un groupe d’ennemi essaie de vous arrêter et c’est franchement pour le mieux. Enfin, les fameux rails permettant de glisser d’un point à l’autre d’un niveau tout en shootant les ennemis restés au sol deviennent très vite des alliés considérables. Outre une prise en main déconcertante de simplicité, ils donnent un nouvel angle aux combats et peuvent offrir des solutions efficaces et hyper classes si un ennemi s’accroche un peu trop à sa couverture…
Elizabeth est loin d’être un boulet dans l’aventure de Booker DeWitt. Un autre beau rôle féminin dans les jeux vidéo !
Enfin, comment évoquer un Bioshock sans parler de son histoire. Booker DeWitt, le personnage mené par le joueur semble être, comme dans tout Bioshock qui se respecte, une minuscule âme aspirée malgré elle dans un tourbillon qui la dépasse. On y retrouve les thèmes récurrents de la série : le thème de l’utopie, la mégalomanie et la soif de pouvoir. Mais on s’attaque aussi à un sujet sensible, celui du racisme puisque l’aventure se déroule sur fond de ségrégation raciale, sans pour autant tomber dans le mélodrame ou le message ostentatoire. On peut aussi voir dans cette histoire une remise en question de l’influence religieuse sur les masses, sans qu’aucune leçon ne soit finalement donnée au joueur à aucun moment. Il n’y a pas de « morale de l’histoire », juste une suite d’évènements plus ou moins brutaux, plus ou moins concrets que le joueur traverse en compagnie du personnage et libre à lui, ensuite, de se positionner ou non et ce comme il l’entend. Infinite fait ce que peu de jeux font : il traite, à l’instar de certaines oeuvres cinématographiques, de sujet d’actualité et amène son public à la réflexion. Mais en dehors de ses considérations philosophiques et idéologiques, Bioshock s’impose par la tournure extraordinaire que prend l’histoire à la fin du jeu avec un dénouement qui laissera le joueur dans le même état qu’après un visionnage de Fight Club ou Shutter Island. Je n’entrerais bien entendu pas dans les détails mais cette histoire là est l’un des scénarios les plus aboutis de ces dernières années dans le jeu vidéo (sans cliffhanger à la con, je ne vise personne !) C’est bourré de poésie, ça vous retourne le coeur et la tête, ça vous prend totalement au tripes et ça vous laisse perplexe pendant une bonne demi-heure. On est d’autant plus aspirés par cette histoire que ses personnages sont attachants et hauts en couleur, chacun ayant son mot à dire dans un scénario dont aura finalement bien du mal à dire qui est le méchant ou le gentil. Toutefois, si Booker est le personnage principal, c’est Elizabeth qui marquera plus les esprits, tant elle est attachante. Tout ça vous donne envie d’y rejouer quand vous l’avez fini, pour tout comprendre à nouveau, pour tout revoir sous un nouvel angle. Bref, c’est un Bioshock quoi…
Eh oh, c’est Bioshock quand même, faut pas abuser non plus !
Rares sont les jeux qui ont le pouvoir d’un Bioshock et de ce BioshockInfinite en particulier. Celui de prendre le joueur aux tripes, de le bousculer et de le pousser à rentrer dans son monde. Ce troisième opus qui n’en est finalement pas vraiment un réussi pleinement sa tâche : relancer la série avant même qu’elle ne s’essouffle ou la clore sur un bouquet final magistral. On reste tout de même partagé. Difficile de ne pas en demander plus quand on a pu saisir le talent des créateurs d’une telle série, mais la peur de voir un tel travail gâché par la malédiction des séries trop longues amène à espérer que la série se finisse sur cette excellente note. Infinite n’en est pas moins l’image parfaite de ces jeux new age, ne proposant pas un immense challenge au joueur mais une expérience dépassant la cadre de la console. Peut-être même que dans ce genre, Bioshock est l’une des meilleures séries à laquelle on ai pu jouer. Irrational Game a en tout cas su répondre aux attentes en sortant un titre auquel il sera difficile de trouver des défauts, techniquement irréprochable et artistiquement abouti. Le genre de jeux qui aura sa carte à jouer à la course au titre de Game of the Year…
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En bonus, les petits kiffes de Bioshock Infinite :
– Les répliques d’Elizabeth « Et bah moi, j’ai toujours voulu un poney, seulement on a pas toujours ce qu’on veut dans la vie ! »
– Les effets liés aux pouvoirs. Voir ses ennemis se faire bouffer par des nuées de corbeaux et partir en lambeaux à cause d’une boule de feu, ça n’a pas d’prix…
– Le couple Lutece Il apparaît tout au long de l’aventure et sont parfois hilarants
– Les mimiques d’Elizabeth Air renfrogné, bouche pincée, sourcil grave… La jeune fille est dotée d’une multitudes d’expressions qui changent des visages en général figés
– Les délires des développeurs Une affiche « Return of the Jedi » sur un cinéma ou « Girls Just Want to Have Fun » de Cindi Lauper qui se fait brièvement entendre dans un niveau
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